La vengeance de Shosanna





Sources intarissables pour apprendre plein d'affaires en retard, les internets m'informaient récemment de cet évènement pourtant important mais dont on a peu parlé de ce côté-ci de l'Atlantique : la "Nouvelle Vague" a 50 ans *.

(* 50 ans : à cette époque presque trop formidable qu'est la notre, aussi bien dire l'éternité -- encore que l'éternité, pour une génération abonnée aux clips jetables après usage sur youtube, est une chose toute relative.)

Quelque part au cours de la saison '59-'60 donc, de jeunes cinéastes sans expérience investirent simultanément de leur premières œuvres les salles obscures de l'Hexagone. Enfants de l'après-guerre nourris aux films de genres américains trop longtemps mis sous embargo par l'envahisseur allemand, ces véritables fous du cinématographe défièrent chacun à leur manière, à coups d'audace et de bravades stylistiques, l'idée que l'on pouvait alors se faire d'un cinéma dit de "qualité". Figure de proue de ce mouvement, François Truffaut avait posé les bases théoriques de leur démarche collective quelques années plus tôt dans les pages des "Cahiers du cinéma" en osant considérer le réalisateur comme seul et authentique auteur d'un film.

Si cette "politique des auteurs" développée par Truffaut et mise en pratique par lui et ses camarades de la "Nouvelle Vague" a quelque peu sclérosé un cinéma français devenu trop nombriliste ces dernières années par la faute de cinéastes ayant faussement assimilé la notion d'auteur avec celle d'ennui, elle a quand même eu l'énorme avantage de mettre les choses au clair une bonne fois pour toute, en conférant à cet auteur suprême tous les droits; y compris celui de changer le cours de l'Histoire à grands coups de batte de baseball dans face et d'utilisation inventive de pellicules au nitrate hautement inflammable.

Chapitre premier. Nous sommes en 1940 dans la France occupée. Un fermier français reçoit la visite impromptue d'un colonel nommé Hans Landa. Ce dernier a reçu pour mission de débusquer les derniers juifs pouvant se terrer dans la campagne française. Alors que Landa interroge le paysan, nous découvrons progressivement que dernière la façade trompeusement affable du SS, se cache un polyglotte cruel et rusé doté d'une prodigieuse intelligence. Au terme de la conversation, Landa finira par extirper les aveux du fermier, fusillera la famille juive que celui-ci hébergeait clandestinement mais laissera filer leur fille aînée Shosanna, offrant à Tarantino l'occasion unique de nous servir une nouvelle variation sur le thème de la vengeance.

Que ce résumé, rempli d'une mauvaise foi que n'aurait sans doute pas renié Tarantino s'il savait lire le français, semble bien différent de la bande annonce du film et n'ait strictement rien à voir avec un quelconque commando de bâtards n'est pas le fruit du hasard; car, tel un William Castle post-moderne -- cet Alfred Hitchcock des pauvres mais grand manipulateur et promoteur de génie --, Tarantino semble avoir pris un malin plaisir à rouler dans la farine tous ceux qui espéraient un "Douze Salopards" version kascher * alors que son intention était visiblement ailleurs; et cet ailleurs se trouve dans le titre de cet article.

(* Un coup d'œil rapide au box office obtenu par "Inglourious Basterds" semble confirmer la réussite totale de la supercherie de Tarantino qui a su magistralement dissimuler cette réalité incontournable : les exploits sanglants des bâtards occupent, tout compte fait, bien peu de temps d'écran.)

Variation sur le thème de la vengeance disions-nous; thème que Tarantino avait lui-même visité dans son précédent opus "Kill Bill" vol. 1 et 2 prenant alors pour inspiration son maître à penser Sergio Leone et ses classiques "Pour quelques dollars de plus" et "Il était une fois dans l'ouest". Mais alors que le spectateur était tenu dans l'ignorance quant aux réelles motivations des personnages incarnés par Lee Van Cleef dans "Pour quelques dollars de plus" et Charles Bronson dans "Il était une fois dans l'ouest" jusqu'à l'apothéose de la confrontation finale entre le bon et le méchant, ici rien de tel; mis au parfum dès la première séquence, nous attendons quasi passivement la (malgré tout mémorable) vengeance de Shosanna et il est à regretter que Tarantino ait quelque peu dilué, de ce fait, la force dramatique qui faisait toute la grandeur des films de Leone.

Si le canevas de base d'"Inglourious Basterds" repose sur cette thématique cher à Sergio Leone, la construction de plusieurs séquences clés du film s'en remet, quant à elle, à la mécanique du suspense hitchcockien.

Examinons, même si vous ne le voulez pas, ce très savant tableau :

Situation de base :
Le colonel SS Hans Landa rend une visite "de formalité" à un fermier français.
Élement introduisant le suspense :
La caméra surprend une famille juive à travers les fissures du plancher.
Résultat appréhendé par le spectateur :
Oh non, Landa va découvrir la cachette de la famille juive et ça va se terminer dans un bain de sang.

Situation de base :
Le chef des bâtards Aldo Raine questionne un prisonnier nazi pour obtenir des renseignements sur l'emplacement des troupes allemandes. Le prisonnier refuse de répondre.
Élement introduisant le suspense :
Du fond d'un tunnel, l'écho produit par un bâton de baseball résonne de plus en plus fort.
Résultat appréhendé par le spectateur :
Oh non, le crâne du prisonnier nazi va découvrir le bout du bâton de baseball et ça va se terminer dans un bain de sang.

Situation de base :
Lors d'un repas, Hans Landa retrouve Shosanna qui vit maintenant sous une fausse identité.
Élement introduisant le suspense :
Landa commande un verre de lait comme il l'avait fait chez le paysan qui hébergeait la famille de Shosanna.
Résultat appréhendé par le spectateur :
Oh non, Landa va découvrir la véritable identité de Shosanna et ça va se terminer dans un bain de sang.

Situation de base :
Dans un bar, un espion anglais rencontre incognito une actrice allemande qui est agent-double pour les alliés. Un moyen-gradé allemand insistant se joint à eux.
Élement introduisant le suspense :
En passant une commande au barman, l'espion fait un geste avec ses doigts qui semble soulever la suspicion du moyen-gradé.
Résultat appréhendé par le spectateur :
Oh non, le moyen-gradé va découvrir que l'espion est un imposteur et ça va se terminer dans un bain de sang.

Situation de base :
À la première du film de propagande "La fierté d'une nation", Hans Landa rencontre Aldo Raine et deux de ses bâtards qui se font alors passer pour des représentants du cinéma italien bien que Raine sache à peine dire "Buongiorno" avec son gros accent de l'est du Tennessee.
Élement introduisant le suspense :
Landa engage la conversation avec les bâtards dans un italien impeccable. Raine répond "Buongiorno" avec son gros accent de l'est du Tennessee.
Résultat appréhendé par le spectateur :
Oh non, Landa va découvrir que les bâtards sont des imposteurs et ça va se terminer dans un bain de sang.

Un esprit avisé devra admettre que cette mécanique, une fois décodée, tel un vieux film de zombies * coté "7" a un je-ne-sais-quoi de, comment dirais-je, répétitif et mine quelque peu l'inventivité intrinsèque de l'œuvre de Tarantino.

(* Vous admettrez aussi l'habileté déconcertante affichée par l'auteur de ces lignes, utilisant brillamment une métaphore reliée à un genre cinématographique prisé par Tarantino lui-même pour souligner la récurrence toute périodique de cette mécanique.)

Malgré tout, ne boudons pas notre plaisir qui risquerait de le prendre personnel en nous quittant pour toujours vers quelques paradis fiscaux lointains et reconnaissons à Tarantino un sens du spectacle certain doublé d'un talent de dialoguiste hors du commun comme le prouve ce délicieux dialogue truffaldien * entre Shosanna et le jeune héros de guerre nazi lors de leur première rencontre, dissertant -- en français -- sur le cinéma et ses auteurs ** ainsi que tous ceux, remarquables, qu'il met dans la bouche du personnage de Hans Landa; faisant de ce dernier l'un des plus terrifiant méchant de l'histoire récente du cinéma et permettant, par la même occasion, à Christoph Waltz de rafler le prix de la meilleure interprétation masculine au dernier festival de Cannes mais surtout d'espérer élargir une carrière qui se cantonnait, jusque là, à des téléfilms allemands dont personne n'avait jamais entendu parler.

(* truffaldien : adjectif masculin singulier; relatif à l'univers cinématographique de François Truffaut.)

(** Cet élément d'analyse juxtaposé avec l'introduction de cet interminable texte digne d'un Pulitzer, prouve aussi, une fois de plus, l'exactitude éternelle des célèbres mots du philosophe grec Anaxagore : toutte est vraiment dans toutte.)

Mais trève de divagations, et posons-nous, pour ensuite mieux y répondre, cette question qui nous tarabuste l'esprit depuis un bon moment déjà : À l'arrivé que reste-t-il du chef-d'œuvre auto-proclamé de Tarantino ?

Un réel souci d'authenticité linguistique, trop peu de scalps, la sublime Mélanie Laurent dans le rôle de Shosanna et la chance pour Christoph Waltz d'interpréter le vilain dans la prochaine adaptation cinématographique du "Green Hornet".

Qui l'eut cru ?








4 commentaires:

  1. He bien cher collegue cinephile, le moins qu'on puisse dire, c'est que le film nous a marque sensiblement de la meme facon !! ;)

    Voir article ci-dessous (publie sur mon blogue le 25 aout)

    http://filmscultes.blogspot.com/search/label/INGLORIOUS%20BASTERDS%20%282009%29

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  2. Que puis-je dire ? Sinon que deux grands esprits se rencontrent ! ;-)

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  3. Ha ! La joie de bloguer et de discourir sur notre passion cinephilique ! Vive l'Internet ! ;)

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  4. Cher Eraserhead, on dirait que votre post est en doublon sur votre excellent site ! Je viens de me rendre compte que j'avais déjà répondu au mauvais post dans le temps ;-)

    Doublon apparent :
    http://filmscultes.blogspot.com/2009/09/inglorious-basterds-2009.html

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